Les autoroutes, machines à profit

Un article sur la privatisation des autoroutes.

C’est une charge d’une rare violence que livre l’Autorité de la concurrence contre les sociétés d’autoroutes. Dans un avis, publié jeudi 18 septembre, elle les accuse d’être assises sur « une rente », qui devrait être partagée, selon elle, avec l’État et les usagers.

La privatisation des autoroutes en 2006 apparaît d’abord comme une belle affaire pour les sociétés concessionnaires, qui sont contrôlées par Vinci (ASF, Escota et Cofiroute), Eiffage (APRR et Area) et l’espagnol Abertis (Sanef, SAPN).

Des actionnaires heureux
Les sept concessionnaires historiques ont distribué entre 2006 et 2013 des dividendes représentant 136 % de leur résultat net, soit au total 16,7 milliards d’euros, dont 5 milliards d’euros de dividendes exceptionnels, souligne l’Autorité de la concurrence, dans son avis publié, jeudi 18 septembre. Il y a un an, la Cour des comptes avait déjà dressé un rapport très critique sur les sociétés d’autoroutes.

Le chiffre d’affaires a progressé de manière constante
Entre 2004 et 2013, le chiffre d’affaires a progressé de 41 % passant de 5,8 milliards d’euros à 8,2 milliards. Le secteur a donc été largement épargné par la crise. L’augmentation du trafic est certes limitée (+ 4,1 % depuis 2007), mais continue.
Elle s’établirait à 0,7 % par an jusqu’en 2030, selon les prévisions. Surtout, l’augmentation du tarif des péages (+ 22 %) depuis 2004 a été quasi systématiquement supérieure à l’inflation.« Les textes stipulent qu’ils doivent augmenter si les prix augmentent, mais il n’est pas prévu qu’ils baissent en période de déflation », rappelle un membre de l’Autorité. La hausse réglementaire doit être au moins égale à 70 % de l’inflation jusqu’à la fin des concessions. Mais dans les faits, dans le cadre des contrats de plan, elle peut monter à 80-85 % de l’inflation à laquelle s’ajoute une compensation des investissements prévus.

Une rentabilité exceptionnelle
Résultat, les sociétés d’autoroute, qui ont bien su maîtriser leurs coûts, affichent une « rentabilité exceptionnelle ». Les ratios résultat net sur chiffre d’affaires sont compris en 20 et 24 %.
« Pour 100 € de péages payés par l’usager, entre 20 et 24 € est du bénéfice net pour les concessionnaires d’autoroutes », résume Bruno Lasserre, le président de l’Autorité de la Concurrence.
À titre de comparaison, la rentabilité nette de Vinci et d’Eiffage s’est établie, concessions autoroutières incluses, à respectivement 5,1 % et 2,3 % en 2013. Avec leurs revenus récurrents, les autoroutes compensent largement les métiers plus cycliques du BTP.

Une activité sans risques
Les sociétés concessionnaires disposent d’un monopole géographique sur les trajets autoroutiers. L’Autorité de la concurrence relève également une faible « substituabilité » avec les trajets par les routes nationales et une faible élasticité prix du trafic.
« La rentabilité de ces sociétés est totalement déconnectée des coûts et disproportionnée par rapport au risque de leur activité », souligne le patron du gendarme de la concurrence.Avantage à s’endetterSelon lui, même la lourde dette (23,8 milliards d’euros) ne constitue pas un risque en tant que tel pour les concessionnaires. Les péages dégagent suffisamment d’argent pour rembourser.
Mieux, les sociétés ont tout intérêt à s’endetter. Elles disposent en effet d’un avantage fiscal leur permettant de déduire intégralement leurs intérêts d’emprunt. Pour l’État, le manque à gagner est évalué à 3,4 milliards d’euros, souligne l’Autorité.

Le besoin d’une plus grande régulation
L’Autorité de la concurrence demande d’encadrer davantage les activités des sociétés d’autoroute. Elle préconise une « meilleure régulation » du secteur, en imposant notamment une nouvelle formule d’indexation du tarif des péages.
Basée sur d’autres variables comme les coûts ou le trafic, elle « serait de nature à limiter leur augmentation, voire à rendre possible leur baisse », écrit l’Autorité, en formulant au total 13 recommandations. […]