Redistribution : comment les impôts et les prestations réduisent les inégalités

Cet article analyse le fonctionnement de la redistribution en France, en montrant comment les impôts et les prestations sociales réduisent les inégalités de niveau de vie entre les plus riches et les plus pauvres. Malgré des écarts initiaux significatifs, la redistribution permet d'améliorer la situation des personnes ayant de faibles revenus.

À la base, les 10 % les plus aisés ont en moyenne un revenu 20 fois plus élevé que les 10 % les plus modestes, 6 600 euros par mois contre 340 euros, pour une personne seule selon l’Insee en 20211. Une fois les impôts retirés et les prestations sociales versées, les premiers ne touchent plus que 5 000 euros tandis que le niveau de vie des seconds s’élève à 900 euros. Le rapport entre les 10 % les plus riches et les 10 % les plus pauvres se réduit de 19,6 à 5,5. Après redistribution, les inégalités ont donc été divisées par 3,5.

Concrètement, comment s’opère cette redistribution ? Observons tout d’abord la situation du bas de l’échelle des revenus. Les 10 % les plus pauvres touchent donc 340 euros par mois en moyenne : il s’agit de salaires ou de revenus d’indépendants, de retraites et d’allocations chômage. On parle de revenu « primaire », c’est-à-dire celui perçu avant de payer des impôts ou de recevoir des prestations sociales. Le chiffre est faible parce que c’est une moyenne pour des personnes qui travaillent à temps plein, à temps partiel, par intermittence ou pas du tout.

 

 

Personne ne peut se loger, se vêtir, se nourrir avec à peine dix euros par jour. Pour éviter qu’une partie de la population vive dans la misère absolue, la solidarité fonctionne à travers des aides comme les minima sociaux pour les plus modestes (RSA, aides aux personnes handicapées), les allocations familiales, les aides au logement, la prime d’activité, etc. Au total, les prestations sociales procurent presque 600 euros mensuels aux 10 % les plus modestes, presque deux fois leurs revenus du travail. Leur revenu moyen s’établit ainsi à 900 euros après redistribution. Il s’agit de leur revenu dit « disponible ».

900 euros, c’est moins que le seuil de pauvreté fixé à 50 % du niveau de vie médian, et loin de permettre de vivre selon les normes de notre société. Ces ressources sont parfois complétées par l’aide de la famille ou d’amis (par exemple en matière d’hébergement) et, éventuellement, par des activités non déclarées.

À l’autre bout de l’échelle des revenus, les 10 % les plus riches touchent en moyenne près de 6 600 euros par mois : des salaires, des revenus du patrimoine et, là aussi, des pensions de retraite ou des allocations chômage, par exemple. Il s’agit toujours du revenu « primaire ». En moyenne, les plus aisés versent 1 643 euros à la solidarité nationale, dont 700 euros de cotisations sociales et 942 euros d’impôts. Logiquement, ils touchent peu de prestations sociales (12 euros par mois), essentiellement des allocations familiales.

Après impôts et prestations sociales, leur niveau de vie diminue de 25 % et vaut donc un peu moins de 5 000 euros en moyenne par mois. Comme les plus modestes, ils peuvent avoir aussi des soutiens de la famille ou des revenus non déclarés (souvent de montants plus élevés que les plus modestes), qu’on ne compte pas ici. Il faut noter qu’en dépit des progrès réalisés, une partie des revenus du patrimoine demeure mal prise en compte dans les statistiques de l’Insee, ce qui sous-estime le niveau de vie des plus aisés.

En matière de revenus, le modèle social français redistribue les cartes, mais les écarts après redistribution restent importants : les 10 % les plus riches perçoivent en moyenne 4 069 euros de plus que les 10 % les plus pauvres chaque mois, soit 48 800 euros supplémentaires par an. Ce niveau d’inégalités après redistribution situe la France dans la moyenne européenne.

La redistribution est importante dans notre pays pour deux raisons. Premièrement, parce que nous sommes solidaires des plus pauvres : nous n’acceptons pas, par exemple, que des enfants vivent à la rue ou qu’on laisse mourir des personnes faute de soins. Nous pensons qu’il est important d’instruire tout le monde (voir l’encadré sur la redistribution opérée par les services publics). Cela profite à l’ensemble de la société, y compris aux employeurs. Deuxièmement, parce que les inégalités de revenus avant redistribution sont grandes en France, et même parmi les plus élevées en Europe. Au bout du compte, en dépit des effets de la redistribution, les riches demeurent très riches en France par rapport aux autres pays.

Le débat porte très souvent sur le niveau des impôts et des prestations sociales. Faut-il ou non baisser ou augmenter les impôts ? Lesquels ? On devrait s’interroger aussi sur la répartition de la richesse avant impôts. Ce qui, par exemple, justifie (ou non) les écarts de salaires. Est-ce une question de pénibilité, la maitrise de certaines techniques, de responsabilités ? De même, on pourrait questionner ce qui justifie le niveau des rendements des revenus du patrimoine (actions, immobilier, autres placements, etc.) qui profitent aux plus fortunés. Est-ce que le risque pris par celui qui détient le capital est élevé ? À quoi servent ces investissements ? Autant de questions sur les inégalités de revenus primaires assez peu débattues et qui pourtant mériteraient de l’être.

Les services publics réduisent aussi les inégalités

Pour dresser un panorama complet de la redistribution opérée par l’État, il faudrait aller plus loin. Compter aussi les impôts dits « indirects » comme la TVA ou les taxes sur l’essence, par exemple. Il faudrait également chiffrer la valeur des services publics, comme l’école gratuite ou les remboursements de soins de santé. Ce calcul est toutefois complexe et théorique : il n’est pas facile de mesurer comment on utilise les services publics selon que l’on est riche ou pauvre. En ce qui concerne la police ou l’armée, par exemple, c’est impossible.

Malgré ces difficultés, l’Insee calcule la « redistribution élargie » qui tient compte de l’effet des services publics. Selon l’organisme, l’écart entre les ménages pauvres (qui gagnent moins de 60 % du niveau de vie médian) et les ménages aisés (qui gagnent 1,8 fois le niveau de vie médian) est de 1 à 18 avant redistribution. Après redistribution, tout mis bout à bout (impôts et prélèvements, prestations sociales et services publics), pauvres et riches se situent dans un rapport de 1 à 32.

1. Voir France portrait social édition 2022, Insee Références, Insee, novembre 2022.

2. La redistribution élargie, incluant l’ensemble des transferts monétaires et les services publics, améliore le niveau de vie de 57 % des personnes », Insee Analyses n° 88, septembre 2023.

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