Qui sont ces 2,3 millions de français qui cumulent plusieurs emplois ?

Cet article du site lefigaro.fr permet d'aborder le phénomène des slasheurs, ces individus qui combinent plusieurs activités professionnelles. Qui sont-ils ? Comment expliquer leur essor ?

« Plus de 2,3 millions d'actifs français cumulaient deux ou plusieurs emplois en 2018, selon les données de l'Insee. Et selon une récente étude d'Opinion Way pour Horoquartz, ce phénomène tend à croître puisque près de trois salariés sur dix souhaiteraient exercer deux activités salariées en parallèle.

Le phénomène du multi-emplois est plus répandu chez les moins de 30 ans, avec près de 12 % des actifs qui cumulent au moins deux activités professionnelles.

C'est une tendance de fond dans un marché du travail en pleine mutation. De plus en plus de Français cumulent plusieurs activités professionnelles, parfois bien différentes, par choix ou nécessité. Tandis que le ministère du Travail les appelle "les pluriactifs", ces personnes qui cumulent plusieurs activités professionnelles en parallèle répondent aussi au nom moins français de "slasheurs". Ce terme fait référence au signe "/", symbole de la séparation entre leurs différentes activités professionnelles, notamment sur leur profil LinkedIn, où l'on peut rencontrer des intitulés aussi iconoclastes que "vendeur de vêtements/professeur de salsa". Et selon une étude réalisée par Opinion Way pour Horoquartz, cette tendance pourrait devenir une véritable norme dans les années à venir puisque près de trois salariés sur dix seraient désireux d'exercer deux activités salariées en parallèle.

 

À 8h du matin, Marc débute son travail de postier dans une petite ville du sud de la France. Puis, sur le coup de midi, ce trentenaire rentre chez lui concevoir des sites internet pour différents clients, avant de se rendre en fin de journée chez son élève Julie pour lui enseigner les maths. Tout comme Marc, Véronique, 60 ans, est une slasheuse : attachée de presse mais aussi décoratrice d'intérieur à ses heures perdues, elle cumule son statut d'auto-entrepreneuse avec son CDI pour casser la routineet augmenter son pouvoir d'achat. Pour Denis Pennel, directeur de la Confédération mondiale de l'emploi et auteur du livre Travail, la soif de liberté, "de plus en plus de Français veulent ainsi faire de leur hobby une activité rémunératrice" et les slasheurs le deviennent souvent par choix et non par contrainte. "La digitalisation du travail et la révolution individualiste" sont les facteurs essentiels qui expliquent l'essor du phénomène.

Si pour la majorité des slasheurs la contrainte financière n'est pas systématique, elle est pourtant bien présente pour une partie des Français. Comme Yvan, François enchaîne les contrats précaires et jongle avec ses casquettes de livreur et chauffeur VTC au fil de la journée. Selon les estimations de l'Insee, plus de 2,3 millions d'actifs seraient des slasheurs en France, avec près de 80 % qui cumulent deux ou plusieurs emplois salariés à temps partiel, tandis que les 20 % restants exercent une activité indépendante en plus de leur emploi salarié. Toutefois, d'autres études aboutissent à des chiffres plus importants que ceux de l'Insee, notamment celle du Salon des micro-entrepreneurs qui dénombrait près de 4,5 millions de pluriactifs en France en 2017, dont 70 % se revendiquant l'être par choix. Une différence qui peut s'expliquer par "le nombre de salariés qui exercent une activité en ligne sur une plateforme indépendante, sans forcément la déclarer", explique Denis Pennel au Figaro.

Des disparités générationnelles et géographiques

Dans l'Hexagone, les pluriactifs sont plus présents dans les villes de 10 000 à 14 000 habitants, avec 11 % de salariés en multi-emploi contre 7 % dans les grandes agglomérations, selon une étude réalisée par Opinion Way pour Horoquartz. Le phénomène du multi-emplois est également plus répandu chez les moins de 30 ans, avec près de 12 % des actifs qui cumulent au moins deux activités professionnelles. Du côté des trentenaires, les pluriactifs ne représentent que 10 % de la génération, et la proportion baisse de trois points pour la tranche des 40 ans et plus. Pour Marielle Barbe, auteur du livre Profession Slasheur, l'essor du phénomène chez les jeunes actifs dépeint surtout une génération qui ne se retrouve plus dans le modèle salarial français. "Le Graal du CDI n'est plus ce qu'il était, et les études tendent à prouver que les actifs souhaitent pouvoir changer de métier plus facilement".

Par ailleurs, 13 % des salariés de l'éducation et du monde de la santé sont des slasheurs. Ces salariés en multi-emploi sont également très présents, dans les secteurs de l'hôtellerie, de la restauration et des services aux particuliers, où les contrats à temps partiel sont fréquents. Les slasheurs représentent 11 % des actifs dans ces secteurs. À l'inverse, le phénomène reste marginal dans les secteurs de la banque, de l'assurance, de l'administration ainsi que celui de l'industrie, où les slasheurs ne composent que 5 % des actifs.

Les pluriactifs Français confrontés à des difficultés administratives

Si le contexte français lié à l'entrepreneuriat a fortement évolué ces dernières années, avec la mise en place de plusieurs dispositifs visant à sécuriser le statut des entrepreneurs, les Français pluriactifs ne bénéficient pas pour le moment d'un statut particulier. "La question de leur statut est essentielle, puisque les slasheurs se confrontent bien souvent à des problèmes de gestion administrative", explique Marielle Barbe. Pour les slasheurs, la multiplication des statuts et leur profil qualifié d'atypique peut en outre entraîner plusieurs instabilités et difficultés administratives. Ces derniers sont bien souvent perçus par les banques et autres instituts de crédits, comme des clients à risques et "les systèmes de protection sociale ont du mal à les suivre", précise Marielle Barbe. "Cela n'a plus de sens d'opposer le CDI à d'autres formes de travail. Il faut que "la société française reconnaisse la complexification du marché du travail dans son intégralité", conclut ainsi Dennis Pennel. »