En se payant Darty, la Fnac change de culture

Un article sur la fusion de la Fnac et Darty.

Moins puissant que son concurrent, le groupe français a finalement réussi à acquérir l’entreprise d’électroménager. Alexandre Bompard espère ainsi profiter d’un marché plus porteur que celui de la culture.

Une course de vitesse avec un sprint final bien négocié. Voilà comment la Fnac a finalement réussi à s’emparer de Darty, numéro 1 français de l’électroménager, en dépit d’une force de frappe financière nettement moins importante sur le papier que l’autre prétendant, le sud-africain Steinhoff, propriétaire en France de l’enseigne d’ameublement Conforama. Conseillé par Rothschild et le Crédit agricole, Alexandre Bompard, PDG de l’«agitateur culturel», a joué son va-tout lundi en relevant son offre à 170 pence par action, soit plus 6 % par rapport à la dernière enchère de Steinhoff.Il avait d’abord pris soin d’assurer ses arrières en obtenant des «engagements irrévocables» de deux des principaux actionnaires de Darty, les fonds Knight Vinke et DNCA, leur apportant un socle de 22 % du capital. Mais, conformément au droit boursier britannique - Darty est coté à Londres -, cette promesse ne les liait juridiquement que dans la mesure où la Fnac réussissait à s’emparer d’au moins 50 % du capital. Pour acquérir les 29 % restants, les actionnaires (une quarantaine au total) ont donc été démarchés par téléphone durant tout le week-end, parfois plusieurs fois de suite, lors d’une véritable opération commando. Le deal ? 10 pence de plus par action en échange d’une vente immédiate et irrévocable de leurs titres. Une «ultime surenchère» qui a d’autant plus pris Steinhoff de court que la Fnac s’engageait à payer en cash, et non plus seulement en échange d’actions, ceux qui souhaitaient lui apporter leurs titres. Lundi soir, quelques heures après l’annonce officielle de la nouvelle offre, la Fnac déclarait avoir obtenu des engagements sur 40 % du capital. Il ne restait plus que 10 % à grappiller, obtenus irrévocablement mardi. La partie était jouée.Après le succès de ce raid remporté par l’outsider, le plus difficile commence pour le distributeur français lesté d’une nouvelle dette - l’opération valorise Darty à 1,16 milliard d’euros contre 851 millions lors de l’offre initiale. La Fnac va devoir prouver que son doublement de taille (de 3,8 milliards à près de 8 milliards d’euros de chiffre d’affaires et de 14 000 à plus de 25 000 employés) est de nature à la rendre plus profitable et plus à même de résister au rouleau compresseur du numéro 1 mondial du commerce en ligne, Amazon.

Machine à café

Pour y parvenir, Bompard va devoir relever trois défis. D’abord, montrer qu’il peut être plus compétitif sur les prix. Près de la moitié des produits vendus à la Fnac et à Darty (électronique grand public, téléphonie, petit électroménager) étant les mêmes, il devrait pouvoir négocier au mieux les marges avec les fournisseurs et ainsi regagner du terrain face à Amazon. La Fnac a chiffré ces synergies à 130 millions d’euros, dont 85 millions sur les achats et le reste sur la mutualisation des investissements informatiques.Pour la Fnac, l’acquisition de Darty est l’occasion d’atteindre une nouvelle dimension dans un marché de l’électroménager qui redémarre. Un domaine qu’elle a commencé à explorer avec succès dès 2012 en se lançant dans la distribution d’appareils de cuisine (machines à café, grille-pain…) afin de compenser la baisse structurelle de ses marchés culturels touchés de plein fouet par la dématérialisation des supports dans la musique et l’image. L’enseigne dirigée par Alexandre Bompard propose ainsi d’installer des corners Fnac dans les Darty et réciproquement.

Boulet

Deuxième pari à relever, prouver que le modèle d’une distribution omnicanal jouant sur la complémentarité des réseaux physiques et numériques et dans lequel les clients peuvent indifféremment obtenir le même service dans les mondes numérique ou physique est et va rester pertinent. En d’autres termes, les achats en magasin vont-ils résister ? Si la vente de biens culturels est laminée par la dématérialisation des supports (le livre résiste mais les CD et DVD sont en chute libre), l’électroménager et les produits blancs (machines à laver, réfrigérateurs…), qui sont la spécialité de Darty, continuent à se vendre plutôt bien en magasin. La preuve, Darty est redevenu bénéficiaire l’an dernier et l’électroménager redémarre. Mais si la tendance à la dématérialisation devait gagner toutes les gammes de produits, le réseau de plusieurs centaines de magasins (263 pour Darty et 116 pour la Fnac) pourrait devenir un boulet.Dernier pari : passer la barre des autorités de la concurrence. Le mariage pourrait s’avérer problématique dans des grandes villes comme Paris ou Lyon où les deux enseignes ne sont parfois distantes que de quelques centaines, voire dizaines de mètres. Pour éviter une distorsion de concurrence, la Fnac pourrait alors être contrainte de céder quelques magasins, essentiellement en centre-ville.