Vingt ans après la mise en circulation de l’euro, quel bilan pour la monnaie unique ?
Cet article permet de faire le point sur les échecs et les réussites de l'euro, vingt ans après sa mise en circulation.
Des graphiques sous forme interactive, ainsi que les données précises correspondantes, sont visualisables sur la version en ligne de l’article.
« C'était il y a vingt ans jour pour jour : le 1er janvier 2002, les Français, après un peu plus de deux cents ans à utiliser le franc, voyaient arriver les premiers euros dans leur porte-monnaie. Et adoptaient progressivement cette nouvelle monnaie européenne, lancée le même jour dans les 11 autres États membres de la zone euro.
Mais cette transition s'est faite par étapes. La décision d'adopter une monnaie commune a été officialisée par le traité de Maastricht, approuvé par les Français lors d'un référendum en 1992. L'euro est officiellement né le 1er janvier 1999, mais seulement de manière immatérielle, sous forme scripturale (comptes bancaires, virements...). C'est d'ailleurs cette date que nous avons choisi de garder dans les graphiques présentés ci-dessous. La mise en circulation des pièces et des billets, trois ans plus tard, a achevé ce processus de transition.
Dans un sondage ViaVoice pour Radio France, France Télévisions et France Médias Monde publié début décembre, 69 % des Français se disaient opposés à une sortie de l'euro. Pour autant, la monnaie unique européenne est souvent l'objet de critiques, sur l'augmentation des prix dont elle serait responsable ou sur son supposé effet néfaste sur les exportations françaises. Pour tenter d'y voir plus clair, Franceinfo fait le point en cinq infographies.
Une zone euro de 19 pays
Lorsque les Français ont adopté l'euro en 2002, ils l'ont fait en même temps que 11 autres pays européens. Cela comprend les 10 autres pays fondateurs de la zone euro avec la France en 1999 (Portugal, Espagne, Finlande, Irlande, Luxembourg, Belgique, Pays-Bas, Allemagne, Autriche et Italie), ainsi que la Grèce, qui les a rejoints en 2001.
Depuis, la Slovénie, Chypre, Malte, la Slovaquie, l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie ont successivement adopté cette monnaie commune, portant à 19 le nombre de pays membres de l'Union européenne utilisant l'euro. La zone euro compte aujourd'hui 341 millions d'habitants, soit une population légèrement supérieure à celle des États-Unis.
Quatre micro-États (Monaco, Andorre, Saint-Marin et le Vatican) utilisent également cette monnaie européenne, avec l'accord de la zone euro. Le Kosovo et le Monténégro ont quant à eux adopté l'euro de manière unilatérale, c'est-à-dire sans l'accord de l'Union européenne.
Théoriquement, tous les États membres de l'UE, à l'exception du Danemark, se sont engagés à rejoindre l'euro lorsqu'ils rempliront les critères fixés pour adopter la monnaie commune. Ces critères de convergence concernent la stabilité des prix et du taux de change, le niveau du déficit ou encore le niveau des taux d'intérêts. Aujourd'hui, deux pays sont engagés dans la procédure d'adhésion à l'euro : la Croatie et la Bulgarie pourraient y être admises, respectivement en 2023 et 2024.
Mais il reste un absent de poids : le Royaume-Uni, qui a fait le choix de quitter l’UE. "Lorsque l'euro a été lancé, il y avait l'espoir que les Britanniques, voyant ses avantages, décident de le rejoindre. Si le Royaume-Uni avait rejoint cette monnaie commune, cela lui aurait donné une autre dimension", affirme Stéphanie Villers, économiste spécialiste de la zone euro, interrogée par Franceinfo.
La deuxième monnaie mondiale, loin derrière le dollar
Lors du lancement de l'euro, l'un des objectifs affichés était d'en faire une monnaie de référence au niveau mondial. Vingt ans plus tard, elle représente un peu plus de 20 % des réserves de change, c'est-à-dire les réserves monétaires détenues par les banques centrales. La Banque de Frances souligne que "quel que soit l'indicateur choisi, la part de l'euro s'élève à plus ou moins 20 % : 20 % des réserves mondiales de change, 22 % du stock international de titres de dette, 15 % des prêts transfrontaliers et 18 % des dépôts".
Ces chiffres placent l'euro en deuxième position au niveau mondial, nettement devant la livre sterling et le yen, mais très loin du dollar, qui représente encore près de 60% des réserves de change à l'échelle mondiale. Un rapport de force qui n'a pas vraiment progressé en deux décennies.
"Cette incapacité à concurrencer le dollar est probablement la plus grande déception par rapport au projet de départ de cette monnaie unique."
Stéphanie Villers, économiste spécialiste de la zone euro à Franceinfo
L'économiste note cependant que "l'euro reste l'une des plus jeunes monnaies au monde et pourtant c'est une monnaie de référence, qui a montré qu'elle était stable. A cet égard, elle a plutôt bien fait son travail".
Une inflation faible, malgré les apparences
Dans un récent sondage YouGov pour le site MoneyVox et relayé par Le Figaro, 80% des Français interrogés estiment que l'euro a fait grimper les prix et baisser leur pouvoir d'achat. Pourtant les chiffres de l'inflation, qu'il s'agisse de ceux de l’Insee ou de la Banque mondiale, montrent au contraire que l'inflation est restée à des niveaux très bas depuis l'entrée en vigueur de l'euro en 1999 et la mise en circulation des billets en 2002.
Alors qu'elle a pu atteindre plus de 13%, notamment après les chocs pétroliers de 1973 et 1979, l'augmentation annuelle des prix en France fluctue habituellement entre 0 et 2% depuis le début des années 2000 et n'a jamais dépassé 2,81%. Le plafond de 2%, qui est d'ailleurs l'objectif historique fixé par la Banque centrale européenne, devrait toutefois être franchi en 2021, avec une inflation totale de 3,5 % selon les prévisions de la Banque de France. Cette hausse est en majorité due à l'augmentation des prix de l'énergie (pétrole, gaz).
Mais alors comment comprendre ce décalage entre les chiffres et le ressenti des Français ? Stéphanie Villers reconnaît que cela est difficile à expliquer mais elle avance quand même l'hypothèse que les personnes sont bien plus sensibles aux prix qui augmentent qu'à ceux qui baissent. "On oublie par exemple souvent qu'avec la mondialisation, de nombreux produits de consommation courante ont vu leur prix baisser très fortement".
Des taux d'intérêt historiquement bas pour la France
Depuis plusieurs années, il arrive régulièrement à la France d’emprunter à des taux d’intérêt négatifs. Cela signifie que le pays devra rembourser moins que ce qu'il a emprunté. Un phénomène similaire s'observe chez nos voisins allemands.
Mais alors est-ce grâce à l'euro ? Pour le cas de la France, les taux d'intérêt à long terme, c'est-à-dire pour des emprunts d'une durée d'au moins dix ans, ont effectivement baissé depuis l'entrée en vigueur de l'euro. Ce taux s'élevait autour de 4% ou 5% en 1999 ; il tourne aujourd'hui autour de zéro. Pour autant cette baisse était déjà enclenchée durant les années précédant l'arrivée de l'euro.
"Les faibles taux d'intérêt pour l'État français sont à mettre au crédit de l'euro, car la BCE garantit le remboursement des dettes de tous les membres de la zone euro, donc cela rassure les investisseurs", insiste Stéphanie Villers. Selon les derniers chiffres disponibles, les taux d'intérêt s'élevaient en novembre à 0,1 % en France et -0,3% en Allemagne, contre 0,95 % au Royaume-Uni ou 1,5 % aux États-Unis.
Une balance commerciale française lourdement déficitaire
C'est un aspect très souvent pointé du doigt par es détracteurs de l’euro : il aurait plombé la balance commerciale française. La balance commerciale d'un pays représente la différence entre les exportations, c'est-à-dire les produits qu'il vend à l'étranger, et les importations, qui sont les produits étrangers vendus dans le pays.
En France, cette balance commerciale s'est effectivement effondrée dans la décennie qui a suivi l'arrivée de l'euro : en 1999, le pays enregistrait un excédent commercial de 13 milliards d'euros, alors qu'en 2008 il était déficitaire de 56 milliards. Depuis, la balance commerciale s'est maintenue à ce niveau très déficitaire, pour atteindre - 65 milliards en 2020.
L'euro est-il responsable de cette situation peu avantageuse ? En adhérant à la monnaie commune, la France a effectivement délégué sa politique monétaire à la BCE et n'a donc plus la possibilité de dévaluer sa monnaie, autrement dit d'en baisser la valeur pour devenir plus compétitive.
Stéphanie Villers insiste davantage sur le rôle d'un autre événement majeur qui s'est produit en même temps que l'arrivée de l'euro : l'entrée de la Chine dans l'Organisation mondiale du commerce (OMC), fin 2001. "Cela change la donne en termes d'exportations, avec des prix chinois défiant toute concurrence qui inondent le marché, précise-t-elle, et même en dévaluant, la France n'aurait jamais pu concurrencer la Chine sur des produits à faible coût".
Selon l'économiste, cela n'est pas pour autant une fatalité : "L'Allemagne, qui a donc la même monnaie que nous, réalise des excédents commerciaux très importants et qui ont augmenté depuis vingt ans. Ils ont réussi cela en se spécialisant dans des domaines à très forte valeur ajoutée". »