Déficit commercial : Pourquoi la France est-elle à la traîne dans le domaine du commerce extérieur

En 2021, la France a été confrontée à un déficit commercial record de 84,7 milliards d'euros. Quelles en sont les raisons ? Plus largement, quels sont les enjeux liés à la désindustrialisation de la France ?

« En 2021, l’économie française restait sur une croissance historique à 7 %, record depuis 52 ans, et la promesse de lendemains qui chantent. Mais ce beau bilan est désormais terni par un nouveau record ce mardi, bien plus négatif sur l’année écoulée. 2021 a été marquée par un déficit commercial jamais vu en France, à 84,7 milliards d’euros, pulvérisant le chiffre de 2011, 75 milliards. L’économie française a beau rouler des mécaniques, son commerce extérieur reste un point faible parti pour durer.

Certes, un tel déficit s’explique en partie par des raisons conjoncturelles propres à 2021. L’explosion de la fracture énergétique, avec la hausse du prix de ces matières, justifie en majorité ce record dans une France qui importe massivement de l’énergie, rassure l’économiste et spécialiste de la macroéconomie Stéphanie Villers. Autre motif "so 2021", la fameuse croissance à 7 %, entraînant une consommation totalement débridée et donc une flambée des importations pour satisfaire des Français bien dépensiers. Ainsi, selon les chiffres des douanes, les importations ont grimpé de + 18,8 % par rapport à 2020.

 

Qualité moyenne, prix élevé

Ces raisons spécifiques ne peuvent néanmoins faire oublier les difficultés de la France en matière d’exportation. Preuve en est, "hormis 2021, le déficit commercial s’établit à 65 milliards d’euros en moyenne chaque année depuis dix ans", rappelle Anne-Sophie Alsif, cheffe économiste au Bureau d’informations et e prévisions économiques (BIPE) et spécialiste du commerce international. Dans une note du 7 décembre, le Haut-Commissariat au Plan note que "les exportations françaises ont progressé de 54 % entre 2001 et 2019, quand la hausse était de 76 % en Italie, 108 % en Allemagne et 133 % en Espagne". Grand écart, explication simple : la grande majorité des produits français ne sont pas compétitifs à l’étranger, en raison d’un mauvais positionnement.

"La France fait du moyen de gamme, mais à coût élevé. Du coup, les autres pays préfèrent soit acheter un produit moins cher, soit un produit de plus haut de gamme", pointe Stéphanie Villers. Pour illustrer la problématique, Anne-Sophie Alsif schématise avec le marché automobile : si vous souhaitez une voiture à faible coût, vous vous tournerez vers une automobile asiatique. Si vous voulez une voiture classe, vous prendrez une Allemande. Dans les deux cas, la voiture française est délaissée. "La France ne peut pas lutter contre les prix du marché asiatique, elle doit donc se pencher vers des produits haut de gamme, là où le coût n’a aucune importance. On achètera le produit pour sa qualité, qu’importe son prix, comme les BMW", insiste la directrice.

 

Viser plus haut

Sur les rares marchés haut de gamme qu’elle couvre, la France maîtrise son sujet et ses exportations : le luxe, la chimie, l’agroalimentaire ou la pharmacologie, liste Anne-Sophie Alsif, avant ce pointer le problème : "Oui, la France a un savoir-faire et une expertise dans des produits de qualité et apportant une plus-value. Le problème, c’est que son panel d’haut de gamme est très réduit", à la différence notamment des Allemands.

Pour Stéphanie Villers, la France a fait le mauvais pari de chercher à être bonne partout sans chercher à exceller dans des domaines spécifiques. "La production européenne à faible valeur ajoutée, ça ne marche pas à l’internationale", pointe-t-elle.

 

La désindustrialisation de la France, le péché originel

La France paie également le fait d’avoir sacrifié son industrie. "Dans les années 1980, le pays a privilégié les métiers de service à ceux de l’industrie, afin de préserver l’emploi", se remémore Anne-Sophie Alsif. La justification à l’époque était que les métiers de service ne seraient pas menacés par des délocalisations vers des pays moins chers ou par la robotisation, au contraire des métiers de l’industrie, ce qui devait garantir la bonne forme du marché du travail.

Revers de la médaille : une désindustrialisation massive de la France, dont le pays n’a pu que constater les énormes défauts lors de cette crise sanitaire : manque de production locale, dépendance à l’étranger et baisse des exportations donc. Un problème pointé par le ministre de l’Économie Bruno Le Maire, qui a déclaré ce mardi matin sur France Inter : "Il n’y a pas d’autres solutions pour rétablir la balance commerciale extérieure de la France que de réindustrialiser massivement, rapidement notre pays."

 

Réindustrialiser, oui, mais à quel prix ?

Le problème, c’est qu’on ne fait pas pousser des usines comme ça en France. "Réindustrialiser le pays et partir sur du haut de gamme, ça veut forcément dire de la robotisation et des méthodes de production autonomes qui mettront beaucoup d’emplois à faible valeur ajoutée au chômage", prévient Stéphanie Villers, qui évoque "un choix de société". Le haut de gamme nécessite lui aussi des emplois, mais cette fois très qualifiés, précise Anne-Sophie Alsif.

Quoi qu’il en soit, pour les deux expertes, il n’y a pas vraiment d’alternatives. "On a raté un train en 2000 autour du numérique, il vaudrait mieux éviter de louper cette fois le wagon des nouveaux moyens de production, comme l’impression 3D, par exemple", appuie Stéphanie Villers. "La France n’est pas nulle, n’a pas perdu son savoir-faire et sait toujours exceller, il faut juste qu’elle s’en donne les moyens", abonde la directrice du BIPE. Reste que le chantier à venir ne devrait pas fournir des résultats probants avant des années, poursuit Anne-Sophie Alsif : "On a beau être fort en France, on ne s’impose pas sur le haut de gamme en quelques mois." Preuve en est, malgré la réindustrialisation entamée du pays, en 2022, "le déficit commercial devrait s’accroître et pourrait atteindre la barre des 100 milliards d’euros", a estimé ce mardi Stéphane Colliac, économiste chez BNP Paribas, interrogé par l’Agence française de presse. Le positivisme attendra. »