« La France n'a jamais été le pays des grèves »

Une interview de Jean-Marie Pernot, chercheur à l'Institut de recherches économiques et sociales, sur les relations sociales en France.

Au-delà des conflits actuels, les relations sociales en France sont plus apaisées qu'on ne le pense, explique Jean-Marie Pernot, chercheur à l'Institut de recherches économiques et sociales.

En dépit des appels du gouvernement à la reprise du travail, les cheminots de la SNCF ont choisi, vendredi, de reconduire pour 24 heures la grève qu’ils ont entamée mercredi, en protestation contre la réforme ferroviaire. Un conflit qui se sera cumulé, cette semaine, à une grève des taxis et au mouvement des intermittents du spectacle. Toutefois, pour Jean-Marie Pernot, chercheur à l’Institut de recherches économiques et sociales, la conflictualité sociale tend plutôt à diminuer en France - et les grèves à laisser la place à d’autres formes de protestation. […]

Globalement, les relations sociales sont-elles plus conflictuelles en France qu’ailleurs ?

Sûrement pas. Cela fait d’ailleurs quelques années que l’on n’avait pas vu de grands conflits de ce genre à la SNCF. Certes, il est compliqué de mesurer la conflictualité sociale. Le ministère du Travail ne fournit de chiffres que pour le secteur privé : ils révèlent que le taux de grève est aujourd’hui très faible. Les statistiques du secteur public elles, ne comprennent pas la fonction publique hospitalière ni les collectivités. Le public mobilise toujours bien, mais moins qu’avant.Comment expliquer alors que la France soit parfois vue comme « le pays des grèves » ?

Cette étiquette est une fiction, cela n’a jamais été vrai. Il y a sans doute le souvenir des grandes bouffées grévistes qui ont marqué notre histoire sociale – 1947, 1953, 1968, 1995. Elles ont donné naissance à un imaginaire très nourri, ainsi qu’à certains progrès sociaux. Par ailleurs, la France est le pays d’Europe où le droit de grève est le moins contraint. Au contraire, il est bridé d’une manière incroyable en Angleterre, par exemple – où une cour a condamné un syndicat du commerce gréviste, au nom de la liberté du consommateur. Par ailleurs, on assimile parfois à la grève d’autres formes de protestations, comme la manifestation.

Il est vrai cependant qu’il y a deux spécificités françaises : d’abord, une relative concentration des conflits dans les transports publics, où ils sont très visibles. Cela dit, quand les transports ne marchent pas, c’est très rarement à cause d’une grève. A la RATP, par exemple, les conflits ont été rares depuis dix ans, et les interruptions de trafic d’abord dues à des problèmes matériels. La deuxième spécificité, c’est qu’en France les conflits ont surtout lieu au niveau de l’entreprise, pas de la branche. Ils sont souvent plus difficiles à résoudre par la négociation : dès lors, les syndicats peuvent faire le choix de la radicalité pour inciter l’Etat à intervenir et jouer un rôle d’arbitre.

Est-il exact que les grèves se produisent surtout, non pas pendant les périodes de crise, mais à la sortie de celles-ci ?

Oui, on l’a constaté en 1936 comme en 1968. Pour faire une grève, il faut avoir l’espérance d’un gain. Le poids de la crise écrase souvent cette espérance. Et le risque de représailles est plus fortement ressenti par les salariés. Dans les sondages auprès d’eux, ce risque est donné comme le premier facteur de non-syndicalisation. D’autant qu’en période de crise, il y a toute une « armée de réserve » de chômeurs disponibles pour l’employeur. En revanche, on a vu se développer depuis le milieu des années 1990 d’autres formes de conflictualité : débrayages, manifestations sur le lieu de travail, refus collectifs d’heures supplémentaires… […]